Scandale à Vielmanay

Sous le titre "Zizanie à la Collégiale" (n° 111 de Blanc Cassis), Monique GUENETTE évoque la personnalité controversée d'un prêtre officiant à Clamecy à la fin du XVIIe siècle, un certain BERGIER. Résumons les faits : résidant en ville depuis peu, celui-ci accomplit le tour de force de rassembler contre lui l'ensemble des chanoines de la collégiale de Clamecy. Exaspérés par son comportement offensif (sic), ces derniers en viennent à lui interdire de porter les draps dans leur église, c'est-à-dire, probablement, d'y porter sa tenue de prêtre et, donc, d'y exercer son ministère.

Qu'est-il advenu du sieur BERGIER ? Des recherches à venir, peut-être, le diront. En revanche, on dispose de quelques éléments sur ce qui se passait avant cet épisode clamecycois. En effet, quelques années plus tôt, c'est à Vielmanay, village nivernais situé à quelques kilomètres de La Charité-sur-Loire, que l'on trouve la trace dudit BERGIER. Il n'y effectue qu'un bref séjour - de 1683 à 1687 - mais ne passe pas, là non plus, inaperçu. A son arrivée, Joseph BERGIER, originaire de Prémery, est prêtre depuis dix-neuf ans et curé depuis deux. On peut imaginer que les cinq cents habitants du village, auxquels il reprochera plus tard leur brutalité et leur grossièreté, l'accueillent sans hostilité particulière. Mais, rapidement, le mécontentement s'installe. Celui du prêtre lui-même, pour commencer, peu satisfait de sa situation matérielle. Vielmanay est un village pauvre, peuplé de mineurs, de charbonniers et de charretiers. L'église est en ruine et menace, ici ou là, de s'effondrer. On trouve, dans les travées, des crânes et des ossements humains, jetés pêle-mêle par le fossoyeur occupé à creuser des fosses. Le presbytère est en mauvais état : rien de plus immonde, de plus vilain et sordide que la maison presbyterale... c'etoit plutost une ecurie a eberger des animaux que des hommes raisonnables. Réduit à la portion congrue - c'est le cas de le dire ! -, le malheureux curé en est même parfois de sa poche lorsqu'il s'agit de l'entretien de son église. C'est en tout cas ce qu'il prétend.

A l'été 1685, les paroisses de la région reçoivent la visite d'un personnage important, l'évêque d'Auxerre. Il s'agit, ni plus ni moins, d'une inspection. On note au passage que la condition du curé BERGIER semble s'être notablement améliorée entre-temps et que le presbytère est désormais en fort bon estat. Au terme de sa visite, selon un rituel bien établi, l'évêque demande aux habitants de chaque paroisse ce qu'ils pensent de leur curé. Ceux de Vielmanay se déchaînent contre le leur : ayant demandé aux paroissiens s'ils avoient quelques plaintes a faire contre led[it] s[ieu]r curé, ils nous ont tous dit d'une commune voix qu'ils sont fort scandalisez de sa conduite en ce qu'il est presque tousiours hors de sa paroisse et va dans le lieu de Champlemy ou il demeure dans une maison qu'il dit luy appartenir et dans laquelle il demeure seul avec une femme nommée Dubois; desquelles frequentations toute la paroisse tant de Vielmanay que de Champlemy est fort scandalizée; en sorte que quand on le void monter a cheval dans Vielmanay, l'on crie hautement qu'il va voir sa femme a Champlemy. Ils nous ont dit mesme que lad[ite] Dubois venoit quelquefois a la maison dud[it] s[ieu]r curé de Vielmanay mais que sur les menaces que la pluspart des habitans luy ont fait de la maltraiter et l'en chasser si elle y revenoit, qu'elle n'y est pas revenu depuis; ce qui nous auroit esté pareillement dit a Champlemy lorsque nous y faisions nostre visitte et nous avons veu les plaintes separéez de plusieurs personnes sur ce suiet, nous ayant mesme esté dit par quelques uns d'entre eux que le jour de l'octave du s[ain]t sacrement dernier, il n'y eut pas de messe dans la paroisse de Vielmanay a cause de l'absence dud[it] s[ieur] curé et que quand il fait le prosne, l'on ne l'entend pas parler tant il parle bas et ne fait jamais de cathechisme.

L'évêque n'entend pas en rester là. La cas du curé BERGIER sera examiné par l'officialité, c'est-à-dire par la justice ecclésiastique. Quelques mois plus tard, ceci expliquant sans doute cela, Joseph BERGIER quitte Vielmanay. En août 1687, il adresse à l'évêque d'Auxerre une ultime requête dans laquelle il lui demande une nouvelle affectation. Il est tentant d'y voir l'origine de son installation à Clamecy. Les dates, en tout cas, concordent.

Que reproche-t-on exactement au sieur BERGIER ? De manquer ici ou là à ses devoirs et, surtout, de contrevenir a l'ordre estably. Quelles sont ses motivations profondes ? Nous ne le saurons probablement jamais. En tout cas, au-delà de son caractère anecdotique, cette affaire illustre un phénomène connu : certains curés, en cette fin de XVIIe siècle, se distinguent par leur conduite peu orthodoxe, voire franchement douteuse, mais il serait injuste de généraliser. Ainsi rencontre-t-on également dans les villages environnants quelques belles figures sacerdotales, appréciées de leurs paroissiens, Edme GUILLERAUT à Nannay, par exemple, ou bien Hubert-Edme MILLOT à Colméry. Selon plusieurs auteurs, la fin du XVIIe siècle marque d'ailleurs une sensibilité accrue de l'Eglise à la question de la formation de ses prêtres : elle entend désormais envoyer dans les campagnes des curés mieux formés et plus soucieux de la conduite de leur ministère. Pour le sieur BERGIER, il est sans doute trop tard !

Philippe CENDRON

Vielmanay (1684)

Clamecy (1688)