Échos

du

passé

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Cette page regroupe les souvenirs d'habitants, passés ou actuels, de Châteauneuf et des villages alentour... Le principe en est le suivant : évocation en quelques lignes d'un lieu, d'un événement, d'une atmosphère... en respectant, bien sûr, les termes de la loi (pas de diffamation, etc). Toute contribution est la bienvenue : cliquer ici.

Chaque "souvenir" est indépendant des autres, se suffit à lui-même et se "déguste" comme tel.

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Champlemy (1962 / 1966)

L'école de Champlemy avait deux classes, deux instituteurs. Nous étions au moins 80 élèves. On entendait les coups de marteau du Maréchal Ferrand qui ferrait les chevaux juste à côté de la classe et la gym se faisait en contre-bas, à côté du champs où prenait sa source la Nièvre de Champlemy. Tous les ans on partait en rang deux par deux jusqu’à la mairie pour se faire vacciner. On repartait à pied jusqu’à Thouez qui est à 2 kms en chantant des chansons de Johnny et de Claude François, un tas de fumier dans un champs qui bordait la route faisait bien l’affaire pour croire que nous nous trouvions sur les planches de l’Olympia. Un morceau de bois était notre micro et on devenais stars.

Intrépides et aventureux on fouillais les ruines du moulin à vent des Lions à moitié détruit.

Quand il pleuvait on faisait un barrage le matin avec des cailloux et du glaise… pour retrouver le soir un petit étang qui s’était formé et qui inondait la route et le champ d’un paysan qui bien souvent nous attendait pour nous engueuler.

Quand il gelait la mare était notre patinoire et on arrivait systématiquement en retard à l’école!

2 boulangeries, un notaire, un hôtel sur la côte de Vallerie. Et des 14 juillet où Champlemy grouillait de monde, la fête et le goûter gratis pour les enfants.

Même la forge à Guenot n’existe plus et les nids d’hirondelles qu’elle hébergeait sont partis.

Le lavoir était le point de rencontre des amoureux et quelques fois quelqu’un y venait pour rincer son linge. [...]

[...] La Lombarderie... un copain venait à l'école en vélo tous les jours depuis la Lombarderie, il était dans ma classe, ramassait pas mal de bons points car il était doué... et je cherche son nom que j'ai oublié, zut alors! On mangeait ensemble à la cantine et le matin en arrivant nous sortions les gamelles en fer qu'on plaçait sur la cuisinière qui marchait au bois. A 11h30 c´était la course jusqu'au réfectoire pour aller manger où nous attendaient nos gamelles maintenant chaudes; la femme du garde champête qui allumait le feu s'occupait de nous et nous obligeait à manger proprement. El gare à nous si nous ne mangions pas ou si nous faisions les imbéciles car le mardi suivant, jour de marché à Prèmery et rendez-vous de toutes nos Mamans ça allait se savoir et la calotte était assurée en rentrant à la maison !!! Elles se retrouvaient toutes dans le car nos Mamans, les paniers vides à l'aller et pleins de victuailles au retour, c'était leur sortie; les bus c'était les rapides de Bourgogne qui s'arétaient partout: champlemy, thouez, arzembouy, giry, gipy, Prémery enfin... il font toujours la ligne Nevers-Auxerre d'ailleurs... et ça papotait dans le bus !!! Les cars étaient jaunes avant, maintenant ils sont bleus je crois... c'est juste un détail... ( entre parenthèse,la gare routière de Nevers s'est construite à cette époque là car quand on prenait le bus on payait un plus de quelques centimes pour payer la gare et le chauffeur nous donnait un autre ticket)

En arrivant manger les mardis midis à la cantine on chercheait avec anxiété des nouvelles, on savait si nos respectives mères étaient allées au marché et presque ce qu'elle savaient acheté!!!

Antonia Ordoño Muñoz

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Châteauneuf-Val-de-Bargis (1872)

Il me revient un récit à l'esprit, une confidence que me fit ma grand mère maternelle lorsqu'elle me jugea, je suppose, apte à l'entendre, c'est à dire dans mes 15 ans.

Elle ne revint jamais ensuite sur ce récit.

Elle me raconta un peu péniblement, et en cherchant ses mots, que sa mère, jeune fille, fut séduite par un jeune voisin. Ils habitaient, en effet, le même hameau et les maisons qu'ils habitaient étaient mitoyennes.

Elle fut donc le fruit de cet amour naissant.

Et elle grandit. Seule, avec sa mère et, peut-être, quelques brèves rencontres furtives et discrètes avec son père resté sous l'autorité intransigeante et le toit du patriarche.

Il ne fut jamais question de régulariser cette"faute"par un mariage. Déshonneur ? Mésunion ? on ne sait pas. Il y avait une bâtarde, en tous cas et quoi qu'il en soit et une bâtarde est une honte. Une faute, une anomalie, un péché. Il n'y avait donc rien à réparer, à remettre dans l'ordre de la société.

Ce que je sus, c'est que le père offensé du jeune papa, en effet, ne voulut jamais entendre parler de quoi que ce soit. Il ignora donc superbement la "fautive" et sa petite fille qu'il voyait grandir et qu'il croisait chaque jour sur la route ou dans les cours. Il ne lui parla jamais, ne lui fit jamais aucun signe, ne lui montra aucune tendresse. Il ignora cette existence. Cette petite fille n'existait pas.

Le Dieu des Bons Chrétiens faisant chronologiquement bien les choses rappela à lui ce grand père intransigeant et borné. On ne sait pas s'il alla en Enfer ou au Purgatoire puisque, décemment, il ne pouvait être admis en Paradis, sauf si, bien sûr, le clergé local acceptât de donner sa bénédiction lors d'un enterrement dans les formes requises, les pompes et les prières d'usage.

Ma grand mère assista donc peu après l'enterrement, alors qu'elle avait dix ans, au mariage de son papa et de sa maman qui vécurent heureux, et longtemps. Le couple uni lui donna, plus tard, un petit frère qu'elle chérit jalousement - je pus le constater souvent - et qu'elle contribua à élever.

Dans sa confession elle fit allusion à sa honte et à sa souffrance, au nom de la Morale. Très discrètement car elle portait encore, sa part de honte d'avoir été une bâtarde méprisée.

André D.

 

Châteauneuf-Val-de-Bargis (1880)

Le dernier tiers du XIX ème Siècle à Chateauneuf a été témoin d’événements exceptionnels, notamment grâce à la munificence de Monsieur le Comte d’Osmont, dont le curé Charrault évoque la présence dans son " Histoire de Chateauneuf-val-de-Bargis et la Chartreuse de Bellary ". Entre autres démonstrations spectaculaires, des chasses à courre se déroulaient dans la Forêt des Garennes, notamment.

Ce Comte Rainulphe d’Osmont (ainsi titré par la coutume, quoique Marquis), était le neveu de la célèbre mémorialiste Comtesse de Boigne, née d’Osmont (1781-1866) à qui celle-ci dédia ses célèbres Mémoires qui font autorité politique et anecdotique pour la période allant de la fin de l’Ancien Régime à la Restauration et au règne de Louis-Philippe. Le Comte d’Osmont avait un fils, Eustache (1855-1904), petit-neveu de la Comtesse, que j’imagine partie prenante de ces chasses.

C’est ici que je vais introduire modestement, et presque subrepticement, ma grand-mère Delphine (née en 1873) fille d'un marchand de vaches, puis épouse d’un petit agriculteur, dans ce florilège de noms titrés menant grand train sur le territoire de la Commune. Elle vit, petite fille, avec admiration et respect, monter, sur les chemins du Pressourd, puis redescendre du bois, les équipages de ces grandes chasses en forêt, auxquelles participait également le Baron de Ballore. Dans ces groupes figuraient évidemment de " grandes dames ", vêtues comme des reines, montant en amazones et participant activement à la chasse. Ma grand–mère me disait donc son admiration de petite fille en sabots pour toutes ces femmes somptueuses, d’une nature et d’une essence incomparables, allant jusqu’à voir en celles-ci des personnages débarquant d’une autre planète et autrement construites qu’elle.

Il faut croire que ces Dames étaient pourtant faites comme elle puisque, redescendant du bois, elles demandaient aux paysans ébahis de quoi satisfaire un petit besoin naturel.

On s’empressait de conduire ces nobles personnes dans la grande chambre de la maison (la pièce où on allait rarement) et de leur fournir, à leur demande, un seau hygiénique.

Et ma grand-mère de me dire (et elle me le rappela quelquefois, évoquant ces souvenirs) : " Je ne pouvais pas imaginer, à dix ans, que des Dames d’une telle distinction et appartenant à cette société élégante et titrée, pouvaient avoir, comme moi, te rends-tu compte, des besoins naturels aussi vulgaires. Comment était-il possible que ces grandes dames et moi soient semblables ? Cela dépassait mon entendement ". Et à l’époque où elle tenait ces propos, elle ne semblait pas encore entièrement convaincue !

Sans façons, ma grand-mère, vieille, faisait encore pipi debout, écartant les jambes sous ses amples jupes longues…

Cela dépassait son entendement et aussi l’idée qu’elle se faisait des classes sociales très privilégiées. On ne pouvait pas être pareils. Ceci se passait pourtant dans les années 1880, sous le régime déjà établi de la III ème République alors triomphante, ambitieuse et conquérante.

…………………

J’ajouterai que le point de ralliement de ces chasses était le pavillon de chasse du Grand Rond des Garennes. Ce bâtiment était relativement délabré à la veille de la guerre 39-45 et les allemands l’abattirent pour le rendre impropre définitivement à tout usage dans la crainte qu’il constitue un refuge pour les maquis nombreux dans ces grands bois nivernais entre 1942 et 1944.

André D.

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Châteauneuf-Val-de-Bargis (avant 1914)

Une anecdote, encore, à laquelle je n’avais pas songé.

Ma mère me racontait qu’avant 1914 (à cette date elle avait 11 ans) elle accompagnait son grand-père, marchand de bestiaux, pour se rendre au marché du jour, vendre tout ou partie de son troupeau, acheté, précédemment, corne par corne, ailleurs, ici ou là, dans la commune ou dans les foires….Non pas en promeneuse, pour se distraire, mais en tant que personne active, et en quelque sorte réquisitionnée par le grand-père, "Bonnet-Blé",sans gratification, dont les besoins en main d’oeuvre ne se discutaient pas, et pour encadrer le troupeau.

On partait la plupart du temps de nuit, ou à l’aube à peine naissante, quelle que soit la saison. Les bêtes marchaient librement devant, selon l’usage local, comme lorsqu’elles allaient à l’abreuvoir. On ne se rendait pas très loin, à Arzambouy, par exemple, ce qui représentait tout de même une bonne dizaine de kilomètres à faire à pied en courant de gauche et de droite, pour éviter ou empêcher l’entrée des bêtes dans les ouvertures de prés ou de champs clos de haies mais qui s’y précipitaient, quelquefois.

On ne connaissait évidemment pas alors les bétaillères….

Ma mère en avait conservé un souvenir exaspéré de courses éperdues, sans cesse renouvelées, d’énervement pour ramener les vaches indociles ou les égarées sur la route avec les autres, et pour elle-même une impression pénible de fatigue.

On rentrait ensuite, midi sonné, encore à pied, bien sûr. La seule récompense exprimée me semblait être, dans mon souvenir de ces récits, la bonne humeur du grand père, s’il avait bien vendu. Au retour, dans le cas contraire il fallait surveiller " les invendus ", - en même temps que l’on observait l’humeur du grand-père -, les bêtes, fatiguées et non nourries continuant, comme au départ, de fuguer et les guides de courir….

Le retour au bercail du troupeau était un soulagement et la meilleure récompense…

André D.

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Châteauneuf-Val-de-Bargis (avant 1914)

Une histoire antérieure à 1914.

Mon arrière grand père maternel, le Père Bonnet François, dit " Bonnet-Blé " était marchand de bestiaux. Il avait aussi quelques vaches à l'écurie.Il constata, un jour, que ses bêtes étaient malades. Quelque chose d'indéfini. Nourries, traites régulièrement ou nourrissant leurs veaux, elles allaient au pré, bref, vivaient une vie des plus normales dans un cheptel bien tenu. Pourtant, quelque chose n'allait pas : les bêtes dépérissaient lentement. Personne n'en voyait la raison. Personne, non plus, n'avait capacité pour expliquer et encore moins pour enrayer ce mal. L'aïeul, y croyant sans y croire, mais un petit peu quand même, fit appel à un " jeteux de sorts ", capable du bien et du mal (car ils n'étaient pas tous, si j'ose dire, polyvalents).

L'homme vint et examina les bêtes.

" Tes vaches sont marquées " dit-il au père Bonnet. " Si tu veux, je peux te montrer par qui. Apporte-moi un siau d'yau et tu verras sa tête dedans. Si tu veux, je peux le marquer ". Le " marquer " signifiait : lui faire du mal durablement, comme aux vaches victimes d'un sort (cette pratique s'appelait" retourner un sort"). Le Père Bonnet qui avait peut-être des soupçons, et sans doute quelques frissons, voire aussi un peu d'humanité, lui répondit : " Il est déjà assez marqué coum'ça ". Le Père Bonnet pensait à un voisin boiteux - de sulfureuse réputation, probablement - sur lequel, sans doute, se portaient ses soupçons.

Le sorcier désenvoûta les vaches, et tout rentra dans l'ordre. Les bêtes retrouvèrent la santé.

J'ignore si le jeteux de sorts fut maté, mais il se le tint pour dit.

Et l'on retrouva le meilleur des mondes possible.

André D.

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Châteauneuf-Val-de-Bargis (1906)

" Mon père et ma mère sont venus fermiers dans la Nièvre en 1897 dans une petite ferme à Bellevue (*) qu’ils ont exploitée jusqu’en 1909…

Mes parents, peut-être pour le respect de leurs maîtres – comme on disait à cette époque – qui étaient des gens d’église nous ont fait débuter à l’école tenue par des sœurs…Ensuite, avec mon frère qui avait un an de plus que moi, nous avons fréquenté l’école de garçons et nos sœurs Joséphine et Claire sont restées en classe chez les religieuses. Cette [dernière] école était financée par un châtelain de la région, le Baron de Ballore qui, à cette époque, était le propriétaire du château de La Vénerie…..

Mon père était un homme très fort et courageux qui n’avait sans doute pas assez d’occupations dans sa ferme [note, après rédaction: éventuellement d’insuffisantes ressources !] avait entrepris dans les années 1905-1906 le service de la Poste et des Voyageur Chateauneuf-La Charité et retour. Il partait tous les soirs vers 18 heures pour arriver en gare à l’heure du train de Paris. Il prenait quelques heures de repos et le matin, vers 05 heures, il rentrait à la ferme et, avec deux autres juments, se rendait dans les champs, et, le soir, il recommençait son service. Il fit ce travail harassant pendant deux années : il avait soumissionné pour 2.000 francs par an….

En 1909, mes parents ont quitté la ferme de Bellevue où je suis né et où ils avaient fait un bail de 12 ans. Le jour où mes parents ont quitté Bellevue pour Chamery, nous étions tous les six dans la voiture à cheval ; mon père demanda à ma mère ce qu’il leur restait d’argent. Ma mère répondit sans hésitation : Six cents Francs,… alors que mon père devait payer, un an plus tard 4.000 Francs/an pour le bail de Bretollier (dont il est question un peu plus loin).

Ils avaient acheté, pour 17.000 Francs une petite propriété à Chamery qu’ils habitèrent pendant un an. C’était trop peu pour occuper mon père [note après rédaction : problème de ressources, aussi ?] qui avait alors 45 ans. C’est de là qu’en 1910 la famille, sans quitter ce domicile, est allée exploiter Bretollier (**) (en patois : Bertoyé). Nous faisions le trajet deux fois par jour pendant la saison des gros travaux. Cette nouvelle ferme avait belle allure et mon père pouvait s’y dépenser : 50 hectares de terres cultivables et 30 en pâturages. Le bail contracté avec la propriétaire Madame Gilbert, de Chateauneuf, portait sur douze années.

C’est dans cette ferme que j’ai passé ma jeunesse et mes parents y sont restés jusqu’en 1921. La ferme s’est vendue : Cent Mille Francs, - les propriétaires trouvaient qu’à cette époque l’argent placé était d’un meilleur rapport que la terre. " "

(*) Bellevue : ferme très isolée à l’Est de CVB, entre la RN 151 et Chamery sur un chemin conduisant aux Rouesses.

(**) Bretollier : ferme isolée à l’Est de CVB, entre Les Bornets et Fonfaye.

Camille D. (extrait du cahier de souvenirs de sa vie)

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Châteauneuf-Val-de-Bargis (vers 1920)

Fête à Châteauneuf vers 1920

Chaque année, le dimanche proche du 4 septembre, anniversaire de la troisième République, c'était la fête à Chateauneuf. Sur la grande place s'installaient un parquet, chapiteau rectangulaire avec parquet ciré pour faire danser la jeunesse, un manège de chevaux de bois et cri-cris, petits sièges suspendus par chaînes à un chapiteau tournant et qui s'écartaient à mesure que le chapiteau prenait de la vitesse (on pouvait en outre, en se balançant rattrapper celui de devant et le pousser en l'air); enfin, des baraques de tirs, jeux, berlingots.

Mais la fête, ce n'était pas seulement ces manèges, bals etc.... C'était tout un village en fête couvert de décorations; elles se préparaient pendant plus d'une semaine avec ardeur. Dix à 12 jours avant, des bénévoles et des employés municipaux partaient sur les collines avoisinantes et revenaient avec un chargement de genièvres, petits conifères en forme de pain de sucre hauts de 1,50 à 2 m, dont les collines étaient couvertes. Ils en déposaient un devant chaque maison et les jours suivants, les cantonniers les plantaient sans difficulté car il n'y avait pas de trottoir en ciment. Et chacun avait à coeur de le décorer de son mieux. Ne vous y trompez pas, il n'existait pas comme actuellement à Noël ni guirlandes électriques (il n'y avait pas d'électricité) ni tous les accessoires, guirlandes, boules, étoiles clinquantes que l'on voit sur les sapins de Noël. Il n'existait que des papiers crépon de couleur, quelques papiers glacés ou papier d'argent. Et c'était à celui qui, avec cela, fabriquait les plus belles décorations. Dans chaque maison on travaillait à fabriquer des fleurs en papier, roses ou oeillets et des guirlandes en papier et le samedi les sapins étaient multicolores et splendides. Certains gros commerçants faisaient plus : c'est ainsi qu'il y avait 2 ou 3 arcs de triomphe faits de branchages décorés de guirlandes et bien entendu de lampions avec bougies. Le village était féérique. Le drame était évidemment un coup de pluie qui venait tout flétrir et abîmer ces objets en papier mais si j'ai le souvenir d'en avoir vu après la fête où on laissait encore le décor 2-3 jours, je n'en ai pas connu avant.

C'est donc dans cette ambiance que se tenait la fête.
G. Roudot - extrait de Mémoires d'enfance

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Châteauneuf-Val-de-Bargis (vers 1920)

Les chèvres (vers 1910)

Une particularité de Chateauneuf. Presque tout le monde dans le village avait une ou plusieurs chèvres (sauf mes grands-parents). Un "bigounier", gardeur de biques, passait le matin vers 9 h, partant de l'extrêmité du bourg avec son bouc et ses chèvres à lui en sonnant d'une trompe. Il suffisait d'ouvrir les portes et les chèvres sortaient des cours, se joignant au troupeau qui grossissait. Il les emmenait paître dans les jachères communales et revenait à midi, repartant à 2 h et rentrant le soir à 7 h. Son passage parfumait le village d'une odeur de bouc. Bien que laid, boiteux, bossu, louchant et sentant le bouc, le bigounier qui gagnait de petites sommes en faisant sa garderie, était un homme sympathique et un sage; vivant dans la contemplation de la nature, il connaissait le ciel par coeur et prévoyait à merveille le temps. J'oubliais: il était payé par les propriétaires de chèvres, mais bien peu! Un petit inconvénient des chèvres : outre l'odeur de bouc, c'est qu'elles raffolaient du tissu et du papier. Il ne fallait pas laisser traîner un torchon ou un tablier sur un banc devant les portes. On savait parfois ce qu'il était devenu en voyant briller des boutons au milieu des crottes de bique. Cela explique qu'à la mairie, l'affichage municipal, réservé au seul garde-champêtre, se faisait au-dessus de 2 mètres. Quand passait un cirque, un cinéma ambulant qui voulait afficher la séance, ils s'adressaient au garde-champêtre qui proposait ses services. "Nous le ferons nous-mêmes". Il leur montrait la partie inférieure du mur de la mairie "Faites donc". Le papier et la colle de farine fraîche utilisés étaient un régal pour les chèvres et dès le premier passage, il ne restait plus rien. Si bien que rapidement, les amateurs d'affiche avaient compris et payaient le garde-champêtre.

Georges Roudot (1886-1914, Mémoires d'enfance (extrait communiqué par Michèle Roudot)


Note : Il existe bien à l'époque à Châteauneuf un chevrier, Albert Oui, "enfant assisté de la Seine", né à Paris vers 1873.

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Châteauneuf-Val-de-Bargis (vers 1920)

 

Il y a bien d'autres choses à raconter qui n'existent plus. Mes petits enfants ont sans doute vu ces énormes machines arrivant dans un champ de blé, happant le blé à l'avant, sortant en haut le blé dans une goulotte le déversant dans une remorque qui suit la moissonneuse, tandis que les bottes de paille tombent à l'arrière. J'ai vu le blé fauché à la faux, par une armée de moissonneurs, ramassé par les femmes et mis en gerbes qu'on entassait avant qu'elles ne soient ramassées et mises dans un hangar. Plus tard, une moissonneuse faisait elle-même les gerbes mais il fallait les rentrer et les battre.
Alors venait le grand jour, le battage. Une sorte de locomotive à vapeur, aux roues en fer, traînant la batteuse, arrivait à une vitesse de l'ordre de 5 km / heure. Elle venait s'installer dans la cour de ferme. On mettait en place de grosses courroies de transmission entre la machine et la batteuse et mettait en route la batteuse. Des hommes soulevaient avec une fourche les gerbes que d'autres, postés en haut, prenaient et introduisaient dans la machine. Il sortait du blé d'un côté, de la paille pressée de l'autre et il tombait au sol un tas de balle qui volait. Quel amusement et que de monde autour de la machine dans une odeur de paille. Parfois, plus grand, j'ai passé des gerbes pour moissonner, mais c'était dur. Le battage donnait lieu à des repas pantagrueliques avec 10 ou 15 personnes. C'était le sacrifice de plusieurs douzaines d'oeufs, de poulets, lapins et la fabrication de tartes et d'omelettes énormes.

G. Roudot - extrait de Mémoires d'enfance

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Châteauneuf-Val-de-Bargis

La batteuse, pendant un mois, allait d’une exploitation à l’autre, en suivant, et de village en village, une demie-journée chez l’un, une entière chez l’autre, deux chez un troisième et guère plus longtemps…

Il fallait donc tracter les deux machines, locomobile et batteuse, d’un lieu de battage à l’autre, d’une grange à l’autre.

Chacune des deux machines était équipées d’un brancard amovible. On attelait successivement deux juments, l’une dans les brancards, l’autre en flèche avec des chaines accrochées à chaque extrémité du brancard, pour déplacer, l'un après l'autre, les deux monstres, montés sur leurs roues en fer à rayons.

Ces engins, par leur forme, par leur poids, par les trépidations et leur bruit de ferrailles secouées, martelant les cailloux du chemin (surtout la loco) effrayaient les chevaux. J’avais le sentiment que ceux-ci connaissaient d’avance la corvée et qu’elle leur faisait peur. L’effort qui était demandé aux bêtes était considérable. Je me souviens d’une jument timonière (ou plutôt brancardière, " La Ragotte ") attelée à la loco ayant le ventre touchant presque terre sous l’effort du démarrage.

Le parcours s’effectuait avec énergie et à un rythme rapide pour bénéficier de l’élan de la masse sur la route inégale et empierrée. Aux les endroits plus lisses, les roues crissaient sur le sable.

Et puis, il fallait placer chacun des deux engins, sur des sols bosselés, quelquefois en pente, et la jument timonière était contrainte à des reculs, des avancées, bref, à des manœuvres difficiles consistant à mettre loco et batteuse dans un axe et à une distance satisfaisants, pour éviter que la courroie de transmission saute, puis il fallait enfin bien caler l’ensemble.

C’étaient là des manœuvres assez longues et délicates.

J’étais, moi aussi, très tendu, malheureux. Je souffrais avec les juments, la timonière était couverte de sueur blanche, presque mousseuse, sur son poil noir. Braves bêtes !

Après, c’était la fête, et plus belle encore si le grain était bien lourd !

André D.

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Châteauneuf-Val-de-Bargis (1914-1918)

Ma mère m’a aussi raconté que pendant la guerre 1914-18 Chateauneuf avait accueilli un "bataillon" de travailleurs annamites logés dans le bourg.

Ces travailleurs faisaient partie des travailleurs d’Indochine réquisitionnés pour apporter leur aide à la Mère Patrie.

Ceux-ci montaient chaque jour dans les Garennes pour faire des coupes de bois indispensables à la confection d’abris et d’étayages pour les ouvrages de première ligne.

C’est ainsi que les Garennes – sauf erreur : appartenant alors à la Cie du Nord, c’est-à-dire au financier Rothschild – furent rasées " à blanc ". La croupe dominant la vallée demeura longtemps nue et les bois que l’on voit aujourd’hui sont la repousse de ce qui a suivi cette taille.

André D.

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Châteauneuf-Val-de-Bargis (vers 1930)

Je vais parler ici du Chateauneuf de l’époque où il n’y avait pas encore de grandes surfaces qui furent à l’origine partout de tant de disparitions dans le tissus commercial.

Ce n’est pas très loin, mais c’était alors foncièrement différent.

A peu près tous les commerces courants, y compris l’habillement et la quincaillerie, et toutes les activités artisanales étaient représentées sur la commune et les commerçants, souvent en concurrence, étaient plusieurs à offrir leurs marchandises et, en tous cas, il n’y avait pas lieu d’aller très loin pour trouver un service.

Les commerçants alimentaires, d’ailleurs – boulanger, boucher, épiciers – allaient au-devant de leur clientèle en organisant leur tournée hebdomadaire (ou bi-hebdomadaire) régulière, en faisant attention, bien sûr, de ne pas chevaucher leurs jours. D’autres ne faisaient pas de tournée, faute de moyens ou faute d’intention.

Le boucher, par exemple, promenait sa viande dans une petite camionnette et la débitait de village en village et de groupes de maisons en groupes de maisons, tranchant, coupant sur son billot. Il ne rabattait pas toujours son hayon entre deux arrêts et la poussière des routes de villages, alors non goudronnées, obscurcissait un instant, par temps sec, le paysage dans un joli nuage miroitant au soleil….

Le bœuf ou le veau qu’il promenait mort refaisait alors en voiture les parcours qu’il avait fait en allant en pâture, puisque le boucher négociait ses achats sur place chez ses clients …..

Les épiciers procédant aux tournées étaient deux : les Docks de Nevers et les Economiques Troyens (" le troyen ", familièrement). Ils circulaient dans une camionnette moderne genre 1200 kg avec couloir central où l’épicier pouvait se tenir debout, en ayant de chaque côté des rayonnages et des casiers pour sa marchandise – des marchandises sèches - qu’il débitait au détail. Il promenait aussi du pétrole lampant dans des bidons de tôle nervurée en forme de parallélépipède rectangle de 5 litres s’ouvrant par le haut (l’électricité n’arriva qu’en 1937)…. On ne s’embarrassait pas, alors, de trop de règles.

C’était aussi, selon le langage actuel, très " convivial ". On avait, semble –t-il, à peu près le temps et on bavardait. L’information circulait, les ragots un peu, aussi, sans aucun doute.

Rien que du banal ? n’est-ce pas, jusqu’ici. Enfin presque, non ?.

Il y avait pourtant un épicier qui déjà touchait au folklore commercial. Je veux parler du succursaliste " Planteur de Caïffa " vénérable maison de produits de qualité, principalement axée sur les cafés et un peu d’épicerie : dans la bonne tradition bourgeoise de " Félix Potin ".

Son magasin – sauf si mon souvenir est ici en défaut – était situé à peu près face au magasin Charrault – coiffeur hommes et dames, journaux, portant le sobriquet du " Bi " -. On n’allait pas chez Charrault, on allait chez le Bi. Je ne connais pas l’étymologie de ce sobriquet ni la raison de son usage (Un Charrault fut-il le premier à chevaucher un bi à Chateauneuf ?).

Revenons donc au " Planteur ". Lui aussi, faisait sa tournée. Je pense qu’il la fit jusque vers 1931-32, après quoi le magasin disparut : laminé par sa concurrence polyvalente et motorisée.

Son originalité était qu’il n’usait pas d’un véhicule à moteur, ni à pédales comme un tri-porteur " Blottot ", mais d’un petit fourgon semblable au tri (de la taille d’un petit fourgon de facteur des P.T.T visible dans les grandes villes il n’y a pas encore si longtemps…), monté sur 3 roues et qui était tracté par deux chiens non racés de même taille moyenne, des braves corniauds. Le maître commandait l’attelage. Comme ses concurrents, il s’arrêtait, ici ou là, pour sa vente. Les chiens s’arrêtaient à la voix et je ne les ai jamais vus se sauver ou se mettre à courir après les congénères libres sur les chemins…C’était des chiens bien élevés, dignes de leur respectable entreprise.

Le " Planteur " vendait aussi avec des timbres-prime, des jetons et offrait à ses clients persévérant dans leurs collages, de jolies boites à gâteaux.

Si l’ensemble était original, il était également coquet, car le petit véhicule était toujours propre et se remarquait par ses couleurs traditionnelles chez le " Planteur : des rayures verticales alternées, ocre et marron. En somme, les couleurs du café à sa récolte et après torréfaction. Le magasin se signalait, lui aussi par l’usage en vitrine des mêmes couleurs.

Voilà, juste ce dernier salut en mémoire du " Planteur de Caïffa " mort en fantassin désarmé au Champ d’Honneur du Grand Commerce triomphant.

André D.

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Châteauneuf-Val-de-Bargis (vers 1930)

Photo CFPPHR

 

Le "pigeonnier" du Pressour

 

Dans les années 1930, ce pigeonnier - qui n'était pas ainsi qualifié - était une simple maison, encore habitée par un vieillard et son épouse nommés Mussier.

Les bâtiments 5 et 1 étaient également occupés par une famille Mussier, le fils du précédent, et son épouse, exploitants agricoles, qui avaient alors 3 enfants, mes contemporains. L'un de ces enfants, un garçon, exploita, 30 ans plus tard la ferme de Chamboyard. Cet exploitant agricole avait une soeur ainée - Blanche - que ma grand-mère haïssait ! parce que mariée avec son seul frère cadet vénéré, Abel Bonnet. Une haine tenace, et bien rendue, qui exista presque aussi longtemps que ma grand-mère - Delphine - vécut, sauf racommodage des dernières années de leur vie. Une jalousie obscure et hargneuse de femme, ô Freud !.

Je suis heureux de voir que ce bâtiment, pas facilement logeable, a été convenablement rénové, en tous cas dans son aspect extérieur. Il aurait été dommage de le laisser aller à un état de ruine...

Mais je peux compléter l'anecdote. Ma grand-mère avait identifié une de ses vaches, elle en avait deux, sous le nom de Blanche...le nom de sa belle soeur. J'ai toujours connu cette vache, comme j'ai connu la belle soeur, une longue femme très mince à petit chignon. Etant enfant et ado, je n'avais pas fait de rapprochement entre les 2 noms car il me paraissait naturel qu'une vache blanche (charolaise) puisse s'appeler ainsi. C'est ça, la candeur de la jeunesse.

Un peu plus âgé, à chaque fois que j'arrivais en vacances, j'évitais tjrs ma gd tante sur la route - sa maison étant à moins de 50 mètres sur celle-là - ne sachant ni pourquoi ni comment je ne devais pas lui dire bonjour et encore moins l'embrasser, même si j'avais seulement compris sans paroles que cela ne devait, ne pouvait pas se faire. Ce fut un des problèmes psychologiques très difficiles à gérer de mon enfance ! Mon gd-oncle Abel, mari de "la Blanche", et son époux, naviguait à l'estime entre tout ça car il passait voir sa soeur couramment et prendre un verre de vin.

Mais quand ma grand mère ''"luchait" après la bête nommément interpellée, et levait son bâton............................je pense maintenant qu'elle n'était pas innocente, qu'elle faisait de la provoc' dans le hameau.

Cet animal occupa l'écurie pendant des années et des années et ma gd mère y tenait bcp. Elle participait à l'économie familiale pour la production de lait, de crème et surtout de fromages blancs (ou durcis dans la charriée pendue dans la vinée).

C'est ainsi que j'ai fini par comprendre que ma Gd mère, si affectueuse avec moi, avait un large côté rancunier et très vachard !!!

Et que les querelles ne se racontent pas, mais qu'elles se vivent.

André D.

Le "pigeonnier" du Pressour en 1826 : n° 3

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Ciez (1938)

Je suis né en 1938, dans un hameau nivernais, portant le curieux nom des "Lemains". (...)

Mon grand-père est né en 1875, dans les premières années de la troisième République, aux Pénissiaux, commune de Colméry (pas très loin de Châteauneuf Val de Bargis). Il faisait partie d'une fratrie de neuf enfants. À l'époque, même les familles modestes confiaient leurs enfants à " l'école libre ". Ce fut le cas pour mon grand-père. Le résultat n'a pas été brillant : il fut exclu au bout de quelques semaines. Il devait être programmé évolutionniste à la naissance. Un jour, il soutint au maître (le curé) que les chaînes traînées sur le grenier de l'école n'étaient pas celles du Diable, comme il le disait pour les intimider, mais celles du bedeau. Un autre jour, il donna un coup de cognée dans l'arbre du Seigneur pour prouver à ses camarades que le sang du Seigneur n'en coulait pas. Il intégra ensuite l'école publique, mais les hussards noirs de la République n'eurent guère plus de succès avec lui. Sa scolarité ne dura que deux ans, en tout et pour tout. (lire la suite)

Maurice L.

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Châteauneuf-Val-de-Bargis (1939)

On surnommait le Pressour : " la petite Russie ". Presque tout le monde était Communiste et lisait l’Huma.. Un seul se distinguait en lisant Le Populaire (le journal de Léon Blum)...

André D.

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Châteauneuf-Val-de-Bargis (1939)

En Septembre 1939, à la déclaration de guerre, le Gouvernement décida de l’ évacuation d’une partie de la population parisienne menacée par les bombardements et non-indispensable sur place.

C’est ainsi que CVB, privée de ses mobilisés, et moralement assez marquée, vit arriver des civils, femmes et enfants, de la Commune de Bagnolet que l’on casa tant bien que mal dans des maisons vides ou bien un peu chez l’habitant. Evidemment, les maisons habitées n’étant en général pas confortables, les locaux disponibles l’étaient encore moins, quand ils n’étaient pas tout à fait en mauvais état….

Bref, on casa ce petit monde, pas mal accueilli, mais sans trop d’enthousiasme et vite avec un peu de lassitude, il faut le dire.

Le courant passa si mal assez rapidement entre ces banlieusards et les autochtones que ceux-là surnommèrent Chateauneuf : Chateauneuf-Val-de-Bandit. ! (*)

Le courant ne passa pas mieux entre les gamins. Je me souviens parfaitement que ces petits banlieusards (j’en était un, à l’époque, mais bien immergé à CVB) prenaient volontiers des allures de petits casseurs et portaient autour du cou un foulard noué derrière la tête et pendant en pointe par devant car les magazines de la jeunesse à l’époque étaient remplis d’histoires de cow-boy ainsi présentés.

Evidemment, ces gamins, dès 14-15-16 ans, désoeuvrés et ne connaissant manifestement pas la campagne ni ses habitants, erraient par les chemins et essayaient de " frayer " (c’était leur mot). Ils avaient un certain succès d’estime auprès des filles, pas indifférentes de connaître de nouvelles manières ! et suscitaient évidemment la jalousie et l’hostilité radicale des jeunes ruraux, intimidés, eux, par les jeunes arrivantes jouant les petites starlettes dégourdies.

Trop de coqs pour trop peu de poules....

Cette population rejoignit en désordre ses pénates banlieusardes assez vite pendant la période calme que l’on appela dans toute la France : " la drôle de guerre ", avant le tonnerre de Mai l940 qui jeta les populations sur les routes avec l’obsession de passer la Loire.

A tous égards, cela valait mieux pour tout le monde.

L’ Histoire, par ailleurs, ne donna pas l’occasion de regretter cette improvisation.

André D.

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Châteauneuf-Val-de-Bargis (1939)

A la déclaration de guerre, en 1939, j’étais à Chateauneuf depuis le début des vacances qui devait se situer, à l’époque, au 14 juillet.

Je jouissais de la plus entière liberté, et les bruits de guerre étaient loin de moi. Pourtant, ceux ci me rattrapaient lorsque je rentrais de mes errances par les champs, les bois ou les chemins, selon ma fantaisie. Chez ma grand mère, qui avait l’électricité depuis à peine trois ans, il n’y avait pas la TSF. On ne lisait pas non plus les journaux : trop chers et il fallait monter en acheter un au bourg, chez " le Bi ", sobriquet d’usage courant pour M Charrault, un homme que je trouvais vraiment sympathique et très " rigolo " qui me coupait aussi les cheveux, de temps en temps. Notre information était celle des bavardages entre voisins, - ceux qui recevaient un journal ou qui avaient la radio - le bouche à oreille, les conversations chez les commerçants, ou sur la route, avec ceux-ci, pendant leur tournée…

Chacun reportait selon sa fantaisie, ses interprétations, ses souhaits, enfin, selon son optimisme ou son pessimisme. On se faisait quand même globalement à l’idée que les choses allaient très mal.

Les rumeurs d’une guerre inévitable étaient, depuis deux ans surtout, dans tous les esprits et dans presque toutes les conversations, à un moment ou à un autre.

On apprit le 23 Août qu’avait été signé la veille un pacte germano-soviétique de " Non-agression ", autrement dit de neutralité. Je me souviens parfaitement que l’information fit l’effet d’un coup de fusil dans le hameau du Pressourd (surnommé, je le rappelle, par dérision mais pas sans vérité idéologique : la Petite Russie). Les habitants étaient atterrés. Comment pouvait-il être possible que nos amis soviétiques nous abandonnent ainsi (puisqu’on comptait sur eux) ? Nous étions perdus. Ce fut un coup très dur pour le moral de mon petit microcosme, et aussi pour le mien, mais pas trop longtemps pour celui-ci, dans l’insouciance de l’adolescence… j’avais cependant parfaite conscience qu’il s’agissait d’une très mauvaise nouvelle.

Le 3 septembre, après être passé chez le Chef de Brigade de Gendarmerie Foulon, originaire de St Benin d’Azy, qui était un ami de mon père, et avec qui j’allais à la pêche aux écrevisses dans le Mazou (il possédait un petit coq nain baptisé " Hitler "), je baguenaudais dans Chateauneuf et, je ne sais pourquoi, allai m’asseoir sur la bouche d’évacuation d’eau située juste devant l’entrée de la Poste et à l’angle de la place, mes bras serrant mes genoux. C’est à cet endroit que j’entendis la déclaration de la guerre qui courut comme une traînée de poudre. Je ne me souviens plus si on fit sonner le tocsin. J’ai encore un vague bruit de cloches dans les oreilles, je ne sais plus si ce fut une réalité ou aujourd’hui une association de probabilités pour la raison qu’en 14 les choses s’étaient passées ainsi. Je restai assis.

De l’autre côté de la route, Madame Monthury, amie de jeunesse de ma mère, était devant sa porte, abattue, le visage défait et nous nous regardions sans tout comprendre, moi, du moins…

Images de consternation. Je ne remarquai personne d’autre…

Mon oncle, célibataire de 38 ans, vivant chez ma grand-mère, fut mobilisé. Il partit, la mort dans l’âme et résigné, rejoindre une unité de Remonte (*) du côté de Nérondes, à Laverdines.

A plus de 65 ans, ma grand mère restait seule dans sa petite exploitation, avec 2 vaches, deux juments et toutes ses volailles, mais un battage réalisé in-extrémis…

Elle n’eut pas à se poser de questions longtemps. Elle fut convoquée à la Réquisition avec ses deux juments. Ce fut un dur coup en raison de l’attachement porté à nos bêtes. Elle ne voulut pas que je l’accompagne. Je crois même bien qu’elle partit au petit matin, furtivement. Elle en ramena une, la plus âgée, la " Ragotte " en laissant l’autre, une grande jument noire un peu rétive, craintive, pour une somme dérisoire dont on ne lui demanda pas si cela lui convenait. Nous avons pleuré tous les deux. Elle me dit alors :

" Ma pauvre " Sultane ", elle ne vivra pas longtemps… "

C’était bien l’idée que je partageais, imaginant cette jument entre les mains de soldats trop nerveux ou brutaux. Je le vécus très mal, autant que le départ de mon oncle, et plus, il me semble bien, que la déclaration de guerre elle-même.

Dans les mêmes semaines, il fut procédé à la réquisition des véhicules civils. Elle ne nous concernait pas.

Jamais la RN. 151 ne vit défiler en direction de La Charité un pareil cortège de camions gros et plus petits, de camionnettes, d’engins de toutes marques et de toutes les couleurs à petite vitesse : tapissières de déménagement, camions de livraison, à ridelles, camionnettes bâchées, tôlées ou découvertes, que sais-je !, toutes portant encore le nom ou la " réclame " de leurs anciens propriétaires. Cela me fit une impression déplorable et confuse de désordre et d’improvisation risible en me donnant une idée de défaite. J’associai aussitôt à ce convoi hétéroclite le surnom d’ " armée de Bourbaki "…selon un terme alors en usage courant pour désigner une débandade ou une action sans gloire.

Il ne me paraissait pas possible que l’armée française puisse gagner une guerre avec ce matériel jugé par moi – je devais être près de la vérité ! - poussif et inadapté (à titre de comparaison, j’avais tout de même vu, à Paris, quelques défilés du 14 juillet !).

J’ai aidé ma grand mère, plus mal que bien en étant disponible selon ma fantaisie…J’étais encore en grandes vacances, plus comme avant, mais autrement…

Jusqu’au jour où la Drôle de Guerre commençant, par certains côtés rassurante en raison du calme régnant dans les villes, me valut le rappel de mes parents en région parisienne où les écoles, vers le 15 Octobre, je crois, m’appelaient à des devoirs dont je me serais volontiers passé.

(*) la Remonte est une organisation militaire qui consistait à rassembler puis entretenir des chevaux réquisitionnés (ou appartenant déjà à l’Armée) pour les tenir à la disposition d’unités de combat comme chevaux de trait ou de Cavalerie.

André D.

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Châteauneuf-Val-de-Bargis (1940)

Je me souviens du dimanche 16 juin 1940 comme si ce que je vais raconter maintenant s’était passé hier….Je venais d’avoir 14 ans.

Dès fin-Mai ou les tous premiers jours de Juin, j’ai rejoint à Chateauneuf ma grand mère maternelle, petite exploitante agricole, veuve, vivant au Pressour (son fils, mobilisé, était " quelque part ") expédié par mes parents à partir de la Gare de Lyon à Paris. Comme au meilleurs temps, j’avais débarqué du train à La Charité s/ Loire autour de midi pour enfourcher aussitôt mon vélo récupéré au wagon à bagages. Le temps était ensoleillé, la nature resplendissait. J’étais enivré de grand air et de lumière sur cette RN 151axe de mes meilleurs souvenirs…Je ne pensais pas à la guerre.

Mes parents étaient des banlieusards parisiens et suivaient avec attention et la plus grande anxiété sur une carte, piquée d’épingles, fixée au mur de la cuisine, la progression incroyable et effrayante – par conséquent – de rapidité de l’armée allemande à travers la France du Nord. L’inflexion de l’invasion vers Dunkerque avait laissé à la population parisienne quelques jours de répit et d’espoir.

Je me souviens bien que, lorsque la Somme fut franchie en direction du Sud, mon père considéra qu’il n’y avait plus guère de raisons d’espérer que les allemands puissent être arrêtés quelque part, en rase campagne. Décision fut donc prise de me faire replier sur la Nièvre. Pensait-on que j’y serais vraiment à l’abri ? Je n’en sais rien. En tous cas, Paris n’étant pas encore, sauf erreur, ville ouverte, - mais peu importe, considérant que l’ennemi était allemand - on s’attendait à des combats, des bombardements et, encore plus, à des atrocités. Le souvenir des mains coupées de 1914 était dans toutes les mémoires…Les allemands inspiraient une peu panique.

Comment expliquer autrement les mois de Mai et Juin 1940 dans la population civile (et chez quelques autorités ….).

J’arrivai donc chez ma grand mère pour une " espèce " de petites vacances avant la lettre…

La région était calme.

Cependant, très vite, on vit passer pendant plusieurs jours en files ininterrompues et régulières des voitures (je me souviens qu’elles étaient en majorité de couleur noire) immatriculées, pour beaucoup, en Belgique. C’était la première fois que je remarquais les numeros rouges sur fond blanc. Je suppose que cette file descendait de la région de Sedan, juste avant que les blindés allemands aient attaqué le 10 mai. Elles se dirigeaient vers la Loire, venant du Nord par la RN 77 (Sedan-Nevers) puis 151 à partir de Varzy, pour passer le fleuve à La Charité sur Loire, ou Nevers, comme si le franchissement du fleuve devait protéger ou garantir, ou encore sauver celui que le passait.

Puis, pendant quelques jours, le flot s’espaça, ou s’étira…

On vit aussi un ou plusieurs avions de chasse, peu avant le 16 juin (la veille ou l’avant veille), en combat aérien ou mitraillant les voitures vraisemblablement sans dommages. On attribua cette " traitrise " à l’aviation italienne. De l’intimidation, en somme…

Ma mère rejoignit le Pressour environ une semaine après moi, par l’ultime train régulier au départ de Paris, mon père l’ayant décidée à partir au dernier moment, et je fus l’accueillir à la Gare de La Charité, ayant appris son arrivée par un courrier encore acheminé régulièrement (le téléphone était un luxe comportant très peu d’abonnés). Je me souviens encore qu’elle portait, à la mode en 1940, un petit chapeau en feutre sombre, rabattu sur le front au dessus des yeux et descendant sur la nuque. Je me rappelle lui avoir dit que celui-ci lui allait à merveille…Je lui trouvai un air de Greta Garbo.

Quelques jours se passèrent.

Il nous fut donné d’accueillir un soir une bonne demi-douzaine de soldats français débandés, hirsutes, l’uniforme défraîchi, filant, eux-aussi, sur la Loire salvatrice dont ils ignoraient la distance. Ma grand-mère leur confectionna une gigantesque omelette aux pommes de terre. Ils m’offrirent leurs insignes. Ils dormirent dans la grange. Au petit matin, ils étaient partis…nous retrouvâmes quelques fusils le long du chemin, dans l’herbe. Je ne sais qui en prit livraison.

Le dimanche 16 juin 1940 – encore par un temps superbe, quel été ce fut ! - nous allâmes au Bourg pour entendre la grand messe (10 heures – 11 heures, je ne sais plus) qui était un rituel.

A la sortie, les conversations allaient bon train entre les paroissiens nombreux et échangeant leurs craintes comme leur indécision. On apprit que les allemands étaient à Clamecy…ou tout proches de cette ville (distante de 30 km)…Certains parlaient d’atteler leurs chevaux au chariot, de charger des bagages, plusieurs autres, de partir à pied….Confusion et désordre.

Ma mère intervint avec beaucoup d’assurance et de force pour faire remarquer à tous ces gens qu’elle connaissait bien qu’avant qu’ils aient atteint la Loire, les allemands, s’ils étaient à Clamecy, les auraient rejoints ou dépassés, alors, à quoi bon…Le risque de l’exode (c’est le mot donné à cette transhumance : l’Exode) était plus grand que celui couru en restant sur place, puisqu’il y avait, aussi, en plus, des risques de pillage.

Je ne sais si elle fut écoutée, mais à coup sûr, il n’y eut pas de départs significatifs.

Je conçus ce jour-là beaucoup d’admiration pour la lucidité et le sang-froid persuasif de ma mère.

Nous rentrâmes au village.

Il faut croire que nous étions perturbés, ou trop occupés à la sortie de la messe, puisque dès l’après-midi, il nous fallut penser à aller acheter du pain au bourg chez Quenault.

Nous partîmes vers 15.30 h. Nous nous arrêtâmes au Château de la Tour pour parler des inquiétudes et des rumeurs alarmistes du moment avec la famille Meunier (famille surnommée "Les Laclasse" ou "La Classe"), des fermiers habitant à 50 mètres de la RN 151, dans deux maisons faisant un angle à 90°, dans lequel se trouvait un puits. La conversation s’éternisait un peu. Je m’impatientais.

J’entendis un bruit sur la Nationale.

Je me penchai pour regarder vers celle-ci à partir du pignon de la maison.

Je me retirai vite pour dire à ma mère : " Maman, les allemands ! ".

Je venais de voir passer au ralenti deux soldats en side-car, habillés de leur vaste imperméable vert descendant au bas des bottes, et casqués, puis une ou deux voitures légères. Cela me glaça. Je n’en vis pas plus, ma mère plutôt moins. Nous redescendîmes au Pressour. Sans pain.

Je ne me souviens aucunement de panique, mais plutôt d’un très prudent, et sage, repli…sans désordre, mais d’un bon pas, silencieusement.

………………..

Il fallut bien y aller. Que prévoir sans pain ?…Ce fut le surlendemain, en empruntant le moins possible la Nationale. Nous prîmes, de l’endroit que j’ai précisé ci-dessus, le petit chemin du Chateau montant et suivant la grande route en parallèle jusqu’à rejoindre l’entrée du Bourg, en haut de la côte de la nationale. Il n’y avait guère moyen de trouver mieux dissimulé, mais il fallait encore traverser tout le bourg.

Ce fut fait, rapidement, comme le retour. Le bourg était inanimé.

………………..

Puis, nous vîmes fleurir un matin sur la " grange à Jalquin " (face à la maison de ma grand-mère) une affiche allemande en bistre, la première, représentant un soldat allemand, viril, souriant et sympathique, tête nue, casque au côté, accessoire indispensable mais secondaire pour l’occasion, tenant sur un bras un petit garçon mangeant une tartine, alors que deux petites filles les regardent, confiantes, avec envie.

On sait maintenant que les consignes de l’armée allemandes étaient de se montrer conciliante et débonnaire aux populations envahies. Plaire.

En réalité, notre regard fut d’indifférence. Surpris, gêné, mais indifférent.

………………..

Nous avions dans la commune un arriéré, dans la bonne cinquantaine, alors, selon mon souvenir.

Un idiot de village, pas méchant, solide, épais, parlant par onomatopées et rendant service, ici ou là : pour garder des vaches " en champ ", les conduire à l’abreuvoir, scier du bois, bref, pour accomplir de petites corvées lui assurant son quotidien. Tout le monde le connaissait, l’appréciait pour ce qu’il était, comme pour sa disponibilité, à condition que ce ne fut pas difficile…Le bon idiot, donc, inoffensif, sous la protection de chacun et de tous. Il était connu sous le nom de " Bellat ", son prénom, dit selon sa prononciation.

Un jour, dans cette même semaine, que celui-ci conduisait au Pressour ses vaches vers l’abreuvoir, à la Fontaine, comme on disait, passa une petite voiture découverte allemande, avec deux hommes à bord, qui le doublèrent. Bellat, qui éprouvait une peur panique de cette armée dont il avait probablement entendu parler en 1914-18, puis tout récemment, voulut faire ranger ses deux vaches qui allaient devant lui librement, selon la coutume ; il leva son bâton en criant, pour faire ranger ses animaux qui tenaient la largeur de la route et commençaient à trottiner, rendant ainsi la situation du pâtre plus compliquée en même temps que le passage de la voiture plus difficile. La voiture allemande s’immobilisa. Les deux soldats descendirent et se jetèrent sur Bellat, l’immobilisèrent et lui tordirent le bras. Le pauvre bonhomme, replié sur lui-même, hurlait comme un bête égorgée , sans défense.

Ma mère et moi nous approchâmes aussitôt pour faire savoir aux deux allemands à qui ils avaient affaire, avec les gestes en direction du front qui est une manière de faire, sauf erreur, internationale. J’utilisai mes premières courtes notions d’allemand d’élève de 6 ème : " Verrückt ! verrückt " "er ist verrückt !" (car, dès cette classe, ce mot est important, puisqu’ utile en compagnie !) " fou ! fou ! ".

Les soldats finirent par comprendre. Ils lâchèrent le pauvre Bellat, mort de frousse, bégayant au-delà de ses capacités habituelles. Les allemands firent chacun un geste, bras allongé, et agitant un index dressé, comme pour dire, "n'y revenez pas !"...

L’incident se passait juste en face de la fameuse affiche dont j’ai parlé peu avant.

André D.

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Châteauneuf-Val-de-Bargis (fin des années 40)

UN ENTERREMENT A CHATEAUNEUF A LA FIN DES ANNEES QUARANTE.

Dans les villages, à cette époque, les distractions étaient rares. Les obsèques, religieuses le plus souvent (note 1) permettaient non seulement d'entourer la famille endeuillée, mais aussi de se rencontrer, de s'informer, de "socialiser". Tout comme la traditionnelle "veillée du corps", le déroulement des funérailles était parfaitement ritualisé : le corbillard, conduit par Giberne (cultivateur au Pressourd) était tiré par un cheval d'une grande patience (note 2); le cercueil était pris en charge au domicile du défunt (on mourrait généralement chez soi ) et transporté jusqu'au bas des marches de l'église. Le curé (abbé Maurice Joinet) en chape noire et argent, entouré des enfants de choeur en soutane noire et surplis blanc, l'accueillait à l'entrée du sanctuaire et le précédait jusqu'au choeur où il était placé sur le catafalque. Puis l'office se déroulait, entièrement en latin à l'exception de l'homélie et des annonces. A l'issue de la cérémonie, le curé et les enfants de choeur portant la croix, l'eau bénite et l'aspersoir, précédaient le corbillard, prenant ainsi la tête du cortège qui se dirigeait vers le cimetière via la place du village, la route de Varzy, la rue des Dames. La famille suivait immédiatement le corbillard (les femmes étaient vêtues de noir et coiffées d'un crêpe noir qui leur cachait le visage), et le reste de l'assemblée se répartissait en fonction du degré de parenté et des affinités. la fin du cortège était généralement composée de personnes peu impliquées dans le deuil et les conversations allaient bon train , et même assez allégrement parfois ! Tout le long du trajet entre l'église et le cimetière -un bon kilomètre !- le curé psalmodiait les prières du rituel, en latin, ce qui conférait à la scène une dimension d'étrangeté quasi-surréaliste propre à impressionner la foule ! Après l'inhumation et les condoléances, l'ambiance se détendait : le curé s'installait sur le corbillard, près de Giberne, et les enfants de choeur prenaient la place qu'occupait le cercueil quelques instants auparavant...et vogue la galère ! le corbillard redescendait vers le village à bride abattue, ce qui n'était pas tout à fait sans risque au virage, mais le cheval connaissait bien le chemin et savait qu'il devait s'arrêter à l'auberge Tardivon afin que son maître puisse s'y désaltérer. Les gens revenaient vers le village par petits groupes et profitaient souvent de cette occasion pour visiter des parents, des amis, ou déjeuner dans l'une des quatre auberges de la localité. Les enterrements constituaient alors, avec les grandes fêtes religieuses, les foires et la fête du pays, les plus importants rassemblements du village.

Jean-Louis C.

note 1 : en dépit d'un catholicisme de tradition, il existait, dans la population de Châteauneuf, un noyau anti-clérical non négligeable, très actif lors des élections municipales.

note 2 : cette qualité lui était indispensable car ce pauvre animal était obligé d'attendre parfois longtemps la fin de la cérémonie et aussi les stationnements de son maître dans les estaminets, lieux d'échanges et de socialisation par excellence.

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Châteauneuf-Val-de-Bargis (1951 / 1962)

Je m'appelle Michel C. J'ai vécu à Chateauneuf , où mon père était percepteur, de 1951 à 1962. J'y ai donc fait toute mon école primaire avec Mme Gentil puis M. Roty , avant de partir en 6ème au lycée de Nevers en 1957.

Nous étions trois frères , dont le benjamin Yves, aujourd'hui décédé, est né à Chateauneuf même dans notre maison , la perception, route de Prémery face à la Chaume. Nous avions été 1 ou 2 ans dans une première maison rue des Dames.

Je garde de cette époque un souvenir formidable de liberté à la campagne, de jeux dans les prés, de copains qui "dénichaient les oisses" (mes parents me l'interdisaient).

Le village était très original par son relatif isolement : lignes de bus très pénibles vers Nevers, Cosne et Prémery , peu de voitures encore -mes parents en avaient une. Cet isolement m'a obligé à être pensionnaire à Nevers et c'était très pesant.

Chateauneuf n'était pas un chef-lieu de canton, mais on y trouvait une perception, une poste , une gendarmerie , un médecin qui vendait de la pharmacie de base. Incroyable dans un village de 800 habitants : 4 épiceries, 3 boucheries, 2 ou 3 boulangeries , 2 coiffeurs, 2 marchands de tissus/vêtements, un marchand de chaussures, un horloger, un marchand de journaux, une quincaillerie, 2 garages , un marchand de cycles, et des bistrots en nombre suffisant! Le café-restaurant Midrouillet faisait cinéma et bal. J'en oublie...

J'ai eu des instituteurs remarquables qui m'ont vraiment mis sur rails pour le lycée, où tout fut facile à partir de cette base.

La vie de l'époque était assez incroyable pour une personne d'aujourd'hui : pas d'eau courante jusqu'à 1960! Chauffage au bois ( une seule pièce de la maison) grace aux affouages , distribution gratuite de bois sur pied par la commune ( j'ai vu récemment sur FR3 un reportage sur les affouages qui perdurent aujourd'hui à Prémery...). Battage du blé à la batteuse activée par un tracteur ( Vierzon). Seul M.Torcol avait un tracteur (Massey Ferguson) pour le travail courant. Les autres utilisaient des chevaux. Pas de tout à l'égout : les fosses étaient vidangées par un camion qui allait jeter tout cela à la Croix Ste Marie ( nous le suivions à vélo pour jouir du spectacle!!). Le linge était lavé par les dames au battoir au lavoir municipal.

Mes parents sont partis du village en 1962 pour Prémery et ont fini leur vie , mon père en tous cas , à La Charité sur Loire. Moi, j'ai fait mes études à Dijon puis à Paris et j'ai travaillé toute ma carrière dans la région parisiene à l'Aérospatiale. En retraite , j'habite l'Eure et Loir ; je n'ai plus d'attache dans la Nièvre sauf les cimetières.

Je ne sais pas si ces souvenirs ont un intérêt pour vous , mais j'ai eu plaisir à les mettre par écrit. Votre site est très intéressant , notamment le lexique de patois . J'y ai repéré quelques manques : "affauberti" , "abêté" (dérangé du cerveau) , "berdineries" ( idioties) , de "berdin" qui est mentionné, ...mais cest remarquable, très original; que de souvenirs...Vous pourriez peut-être signaler aux amateurs le bouquin de poêmes en patois de G. Blanchard , "Ma Mélie à moué" qui est un joli exercice d'application. ( Blanchard écrivait dans le temps un billet dans le Journal du Centre intitulé " les Berdineries d'un Arcandier").

Michel C. (10 février 2014)

Il m'est revenu à la mémoire trois compléments.

Le premier a trait à la vie locale: dans les années 50, la commune payait ( je dis bien : donnait de l'argent ) pour la "destruction des nuisibles"(sic). Attention , lecteurs écolos : les enfants allaient dans les haies dénicher les oeufs de pie ( les oisses) , ce qui est difficile car le nid est protégé par une carapace d'épines très étanche qui écorche la main. Ils vidaient l'oeuf en perçant deux trous , un à chaque extrémité et en soufflant faisaient sortir le contenu. Les coquilles vides étaient amassées dans un sac, qui était porté à la mairie. Le secrétaire comptait les oeufs et payait je pense 1 franc ( 1 ancien franc, soit 1 centime de "nouveau franc" , soit 0,15 centime d'€) par oeuf. Pour 100 oeufs , ça me semble un bon chiffre pour un sac plein, l'enfant touchait donc 100 francs soit 0,15 €! Etaient aussi payés les oeufs de corbeau ( beaucoup plus difficile car les nids sont en haut des arbres), les dépouilles de serpents (!), et je crois aussi les buses. Qu'on ne m'intente pas de procès , ce que je relate est de l'Histoire , pas si lointaine.

Le second concerne l'école : tous les garçons , sans exception, allaient en classe avec un couteau 6 lames , un vrai, bien coupant, qu'ils portaient souvent attaché à la ceinture par une chaîne pour ne pas le perdre. C'était un attribut de virilité et un outil pour tailler les crayons ( voir ci-dessous). C'était tout à fait licite et l'art du taillage était supervisé par l'instituteur. On croit rêver quand on pense à cela aujourd'hui!

Le troisième complément est un mot de patois absent du lexique : "appointucher" , c'est à dire tailler en pointe un crayon ou un bâton.

Michel C. (11 février 2014)

 

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Châteauneuf-Val-de-Bargis (1954)

Vendredi, vers midi, M. Justin Creux, épicier à Vielmanay, se rendait à Châteauneuf à bord de sa voiture de livraison. Il ne faisait pas une grande chaleur, la route était ombragée, pas de sable sur la chaussée et pas d'autre voiture en vue.

En arrivant à quelques centaines de mètres du bourg, au lieu dit Le Château, M. Creux, roulant à une cinquantaine de kilomètres à l'heure, fut soudain ébloui par une vive lueur et en même temps se produisait une forte détonation. Aveuglé par la vive clarté et par une pluie de parcelles de verre, il parvint cependant à arrêter sa voiture avant qu'elle n'aille se jeter contre un arbre.

M. Creux s'en tirait sans trop de mal; il n'avait qu'un petit éclat de verre dans l'oeil gauche. Quant au pare-brise, il ne restait que quelques parcelles de verre tout autour. L'avant de la voiture était jonché d'une couche de petits morceaux semblables à du gros sable transparent.

(article en page 2 du Régional de Cosne, 3 juillet 1954)

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Châteauneuf-Val-de-Bargis (1996)

En cherchant, en 1996, à me documenter aux Archives Départementales de la Nièvre sur la Route Nationale N° 151 (Poitiers-Avallon) pour essayer d’établir sa date de construction sur la Commune de Chateauneuf, je fis la découverte d’un document émouvant.

Mais j’anticipe un peu : la carte de Cassini – feuille numéro 49 - date, pour le Nivernais concerné par mon propos : pour son élaboration : de 1759 jusqu’ à, pour sa finition : 1758. On remarquera que le tracé vers l’Est, après La Charité-sur-Loire, termine ses pointillés de probabilité peu avant Chasnay. Au-delà : plus rien.

Ma curiosité portait donc sur la date du passage et de la construction de cette route à Chateauneuf.

En consultant une liasse de documents, je trouvai ce que je cherchais. La construction de la Route Royale n°151 à travers la Commune fut entreprise en 1827. Celle-ci, comme nos autoroutes modernes en construction, se poursuivait dans un no man’s land improbable qui dura toutefois, dans ce cas, environ 70 ans.

J’eus, entre les mains, pour la Commune, un nombre important d’Actes d’Expropriation en exécution de la Loi du 8 mars 1810 (admirons en passant l’esprit de continuité !) groupés sur une même période pour établir l’emprise rectiligne de la route.

L’un d’eux retint mon attention plus particulièrement : il concernait un certain Jean-Baptiste Bonnet, du Pressourd pour un terrain de Un are et douze centiares à froment provenant du Champ Girard et estimé 8 France et 96 Centimes, l’acte ayant été passé le 8 juin 1827, après procès-verbal du 4 Janvier, le vendeur déclarant "ne savoir signer ".

Le J-B. Bonnet en question était dit : " Petit-blé " et ce surnom était précisé sur l’acte.

Je savais évidemment que le grand-père maternel de ma mère portait ce surnom de " blé " et que l’homme était très communément et couramment appelé " Bonnet-Blé " pour le distinguer des assez nombreux Bonnet répartis sur la commune.

Je ne pus donc douter que l’homme qui avait vendu à l’Etat, le cœur déchiré, je n’en doute pas, ses 112 mètres carrés, était un de mes ancêtres maternels qui avait partagé, en d’autres temps, une préoccupation identique à la mienne, mais bien plus lourde.

Dans la même recherche, j’ai pu compiler, également, un nombre important de demandes d’autorisation de construire le long de cette future route qui longeait le vieux bourg dans sa largeur – formant un T - et tout le virage que regardent la mairie et la pompe. La réponse favorable de l’Administration fixait systématiquement à chaque demandeur la distance minimale d’implantation de sa maison par rapport à l’axe de la route (ce que l’on observe encore aujourd’hui).

Pour l’observateur, la césure est d’ailleurs très nette entre le vieux bourg (le Bas du Bourg) et cette extension du haut dont l’immobilier le plus ancien date, au mieux, du second quart du XIX ème siècle et présente une certaine unité architecturale.

André D.

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Donzy (1912)

C’est en 1912 que Monsieur Senne, le maître d’école de la 1 ère Classe m’a présenté au Certificat d’Etudes avec cinq autres camarades. Nous avons tous été reçus. Monsieur Senne était très dur, mais quel bon instituteur ! Il fut très heureux de ce résultat.

L’examen avait lieu au Chef-Lieu de Canton, à Donzy. Nous avons pris notre repas à midi au restaurant, c’est bien la première fois que j’y mangeais.

Il était de tradition que les enfants présentés au Certificat offrent le déjeuner à leur maître. Je me souviens que pour payer nos repas, tous les gosses que nous étions, avions chacun de notre poche sorti une pièce de Cinq Francs à l’effigie de Louis-Philippe.

Au retour, le maître nous donna rendez-vous à l’école et nous félicita. Maintenant, avec le temps, je pense que c’est plutôt lui qui aurait mérité nos félicitations.

Camille D. (extrait du cahier de souvenirs de sa vie)

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Menou

Cela peut sembler singulier mais cette nuit j'ai rêvé de ma grand-mère paternelle à plusieurs reprises. Elle semblait vouloir confier un message à son fils aîné sous la forme d'un jouet associé à un coq et se présentant comme une boîte arrondie en métal peint. Elle m'a aussi montré une partition de chant de Ravel (je ne savais pas que Ravel avait composé pour la voix). Elle a sourit quand je lui ai rappelé qu'elle était décédée. Je lui ai demandé où elle se trouvait en ce moment et elle m'a répondu : "Au château de Mnou !". J'ai cherché le château de Mnou et je n'ai trouvé que celui de Menou dont je ne connaissais pas l'existence.

Hervé V. (nuit du 25 au 26 janvier 2012)

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Nannay (début 1900)

A propos de Nannay (...) ma mère, née en 1903, qui vécut toute sa jeunesse au Pressour (et jusqu'à son mariage en 1925) m'a plusieurs fois raconté que dans sa jeunesse " on trainait les chaines " dans une maison à la sortie, à gauche, du bourg en allant ver CVB. Cela signifie que la maison était envoûtée et que le Malin (caché, dans le langage populaire par ce pronom indéfini de : "on" ...qui n'était indéfini pour personne et parfaitement codé) signalait sa présence par ce bruit forcément infernal. La maison n'était pas régulièrement habitée puisque le phénomène se reproduisait avec des occupants horrifiés ! Cela signifiait, aussi, qu'au moins un occupant " d'avant " avait touché de près à des pratiques " pas très catholiques "...

André D.

Cette maison se trouvait à la hauteur du cycliste, à gauche.

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Dernière mise à jour le 13 avril 2020.

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