EDME-RAVAUD DE VIEILBOURG

1665-1741

 

article de François Billacois

 

René de Vieilbourg, père d'Edme-Ravaud

 

Ce personnage [1] est le dernier représentant d’une vieille famille de noblesse d’épée, possessionnée en divers lieux du nord-Nivernais, notamment à Myennes depuis le XVIe s. Les Vieilbourg ont souvent été officiers dans les armées royales et ont servi dans l’ordre de Malte, et éventuellement géré des commanderies de l’ordre, comme Villemoison (actuelle commune de Saint-Père) [2]. Plusieurs sont morts au champ d’honneur. Même au temps de la Fronde, et malgré la proximité géographique de Saint-Fargeau et Bléneau, ils restent fidèles à la régente et à son ministre Mazarin. Celui-ci leur en fut reconnaissant. Ayant acquis pour sa famille le duché de Nivernais (1659), Mazarin attribua au chef de la famille de Vieilbourg la fonction de " lieutenant général du roi au gouvernement de Nivernais et Donziais ". Sorte de gouverneur militaire représentant l’autorité de l’Etat dans une province par ailleurs largement autonome, le lieutenant général avait notamment le pouvoir de mobiliser ou renvoyer dans ses foyers la noblesse locale en cas d’invasion, de troubles… ou de battue contre les loups. En 1661 la seigneurie de Myennes fut érigée en marquisat [3], ce qui faisait entrer les Vieilbourg dans la haute noblesse. Sous Louis XIV on les voit se marier à des héritières des plus grandes familles du royaume et mener grand train dans leurs hôtels de Paris, et leurs châteaux de Myennes et des Granges (actuelle commune de Cours).

René de Vieilbourg fut lieutenant général de 1664 à 1669. Il meurt alors accidentellement dans sa chambre à Myennes en s’armant pour aller à la chasse. Son portrait est conservé au musée de Loire à Cosne. Il laissait, outre une fille morte jeune, deux fils de caractère et de destin fort différent, Louis-René et Edme-Ravaud. L’aîné hérite du marquisat et lui succède à la lieutenance générale de Nivernais. Il épouse en 1693 Anne-Françoise de Harlay qui lui survivra longtemps (+1735) et sera une militante active et prestigieuse de la cause janséniste [4]. Colonel d’infanterie, il meurt à 28 ans sans postérité, tué au siège de Namur [5].

Le second fils de René, Edme-Ravaud, né en 1665, était destiné jusque là à une carrière ecclésiastique, comme beaucoup de cadets de la noblesse. En 1684 le curé de Cessy dresse de lui un portrait fort édifiant. " Il demeure à Paris, et étudie en Sorbonne. Très sage et de bonnes mœurs aussi bien que de conduite, digne de l’épiscopat et des plus hautes dignitez de l’Eglise, néanmoins encore jeune homme " [6]. Mais ce portrait ne ressemblait guère à la réalité. Le jeune clerc, abbé commandataire de l’abbaye de saint Martin à Massay en Berry, prieur et seigneur temporel haut justicier de Cessy en Nivernais, était moins assidu aux cours de théologie que dans les alcôves des maisons closes de la capitale. La mort de son frère le rend à l’état laïc, et lui donne le marquisat et la lieutenance générale. Sans plus de vocation pour les armes et l’administration que pour la vie ecclésiastique ! La seule trace possible d’un rôle public est une lettre non datée et signée de Vieilbourg sans prénom [7] : adressée au baron de La Rivière, elle lui fait part des " ordres du Roy pour une chasse générale aux loups " en Nivernais et lui demande d’en informer les populations de Couloutre, Ciez, Colméry et Entrain…

Pour le reste, il vit à Paris plus qu’en Nivernais, et pas du tout aux armées. Il mène la vie d’un roué typique de l’époque Régence… et entame joyeusement le patrimoine familial. Son inconduite notoire fait échouer deux projets de mariage. Il épouse cependant à trente trois ans " et contre le gré de tous ses parents " une jeune fille de famille noble mais peu fortunée, Anne Marie Madeleine de la Varenne. Celle-ci meurt en 1728, sans lui avoir donné d’héritier. Deux ans auparavant Edme-Ravaud avait rencontré une courtisane de haut vol qui, à 28 ans sortait pour la deuxième fois de prison et dont il sera la proie financière jusqu’à la fin de ses jours et jusqu’à l’aliénation quasi complète des biens des Vieilbourg. Cette femme qui se fait appeler Florentine Payen de Saint Marc ou Florence Dumont nous est connue à travers des actes notariés passés à Paris et à Cosne et par un mémoire accusateur dressé par les parents éloignés qui héritèrent du marquis de Myennes ; elle serait mieux connue encore si on cherchait son nom (ses noms !) dans les archives de la police parisienne [8].

D’abord son amant lui loue un appartement et le fait meubler. Elle en obtient ensuite plusieurs rentes viagères. Elle feint de découvrir qu’il est un homme marié, porte plainte contre ses assiduités et voies de fait… jusqu’à en obtenir de nouvelles rentes. Après la mort de l’épouse légitime, elle s’installe chez lui, se fait attribuer la terre de Thou, et commence à mettre en vente meubles, bijoux et argenterie. Le 28 février 1729 elle persuade le curé de Myennes de les marier. En pleine nuit, et sans publication de bans. L’évêque d’Auxerre, Mgr de Caylus, leader janséniste (alerté vraisemblablement par la belle-sœur (qui continue à s’intituler Marquise de Vieilbourg) annule le sacrement et prend des sanctions contre le curé complaisant. Ils regagnent Paris où la Payen alias Dumont est une nouvelle fois incarcérée. Libérée ultérieurement, elle obtient un contrat de mariage qui confirme les donations antérieures et en ajoute de nouvelles (1736). Le couple scandaleux et vieillissant vit désormais surtout à Myennes et à Cours… Ils n’ont pas eu d’enfants.

Le dernier marquis de Vieilbourg mourut le 13 aôut 1741 à 76 ans sans aucun secours temporel et sans sacrement au château de Myennes dans la chambre haute regardant la ville de Cosne. Il fut inhumé, comme ses ancêtres dans la chapelle seigneuriale de l’église paroissiale. On perd la trace de sa veuve ou pseudo-veuve.

 

Notes

  1. Cet article doit beaucoup au fichier Lespinasse des Archives départementales de la Nièvre. Il doit beaucoup aussi à Alain Bouthier qui nous a généreusement communiqué le fruit de ses recherches au Cabinet des titres de la Bibliothèque nationale de France et dans les minutes des notaires de Paris et de Cosne.
  2. Grosse d’un bail passé en 1630 par le chevalier Gilbert de Vieilbourg, affermant les dîmes du blé et du vin de la commanderie à un vigneron de Sancerre (collection privée).
  3. Bibliothèque de l’Assemblée nationale, catalogue des manuscrits, p. 284.
  4. En 1713 la marquise est l’auteur (sous un anonymat qui ne trompe personne) d’une lettre d’une dame française au pape au sujet de la bulle " Unigenitus ". La dispersion de sa riche bibliothèque après sa mort donna lieu à un catalogue imprimé de 15 pages.
  5. Mentions dans les Mémoires de Nicolas Foucauld et de Saint-Simon.
  6. A.D. Yonne, G 1668.
  7. La lettre, conservée aux archives départementales de la Nièvre, a été publiée et commentée par M. CENDRON. Son attribution possible à Edme-Ravaud tient à une recrudescence de la présence des loups dans la dernière décennie du XVIIe s. et à des mesures de luttes prises en 1697 dans les provinces voisines d’Orléanais et Berry (cf. J.M. MORICEAU, l’histoire du méchant loup, Fayard, 2007).
  8. Archives notariales dépouillées par A. Bouthier. Le mémoire pour messire Pierre Anoine HINSELIN de Morache contre Marie Florence Payen de Saint Marc dite Dumont, se disant veuve du marquis de Vieilbourg (Paris, impr. A. Knappen, 1743, 22 p.) est partisan, mais sans doute exact. La pseudo-marquise ressemble à plusieurs de ses consoeurs décrites par Erica-Marie BENABOU, la prostitution et la police des mœurs au XVIIIe siècle, Perrin, 1987.

 

Article publié sur le site des Cahiers du Val de Bargis le 20 juin 2009.

Dernière mise à jour le 26 mars 2012.