Châteauneuf - 1837

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LETTRE

DE M. BARILLOT, CURÉ ET MÉDECIN A CHATEAUNEUF, AU VAL DE BARGIS,

PAR LA CHARITE-SUR-LOIRE (NIEVRE),

Membre de la troisième classe de l'Institut Historique

 

Châteauneuf, le 1er mars 1837.

La commune que j'habite, Châteauneuf, au val de Bargis, du temps de Jules-César, portait le nom de ville de Vif, probablement parceque l'air y est très-vif et très-sain. Les vignes, situées au nord, ont toujours conservé le nom de vignes de survif ; on y trouve beaucoup de décombres et de masures ; on y découvre tous les jours d'anciens puits comblés. Dans un domaine qui m'appartient se trouve un de ces puits, et l'on y voit la trace des pompes foulantes et aspirantes à l'aide desquelles les anciens propriétaires arrosaient tout le vallon, couvert d'abondantes prairies.

Je conserve dans mon cabinet une pièce en argent, de la forme d'un écu de cinq francs, trouvée dans les environs. La légende est effacée ; mais on y distingue encore une partie du grenetis, le péristyle d'un temple, un aigle et quelques animaux. Cette pièce est évidemment d'origine romaine. Nous lisons dans les Commentaires que César n'ayant pu séjourner à Bourges, brûlé à son arrivée par les habitants, fut obligé, pour procurer des vivres à son armée, de rétrograder sur Nevers qu'il trouva également brûlé. Alors ce conquérant étendit ses troupes jusque sur notre territoire, où il livra plusieurs combats. Dans un emplacement où j'ai fait bâtir ma maison, on a trouvé dans les fouilles des ossements humains et des cercueils en pierre dure, dont quelques-uns renfermaient plusieurs têtes bien conservées. On reconnaît aussi des emplacements de forges à bras, et les laitiers abondants qu'on découvre dans le sol en prouvent l'antiquité. A l'ouest de Châteauneuf, du côté de la Charité-sur-Loire, s'élève une butte de terre végétale amoncelée, dans laquelle on avait creusé des souterrains immenses et élevé une tour flanquée de créneaux en pierre de taille. Les habitants la démolissent tous les jours pour en employer les matériaux à la construction de leurs demeures. Cette tour dominait le pays de tous côtés, et servait sans doute de forteresse ; on a trouvé dans les souterrains de la monnaie et de l'argent à trois côtés, mais sans type apparent. Le pays est semé de pierres à chaux et d'empreintes de coquillages.

Châteauneuf, au val de Bargis, est bâti et pavé à neuf ; la mairie, les divers hôtels construits sur la route d'Avallon à Bourges, les maisons nombreuses qu'on y a élevées, attirent l'attention des voyageurs. La commune est entourée de plaines fertiles, de riantes prairies, de vignobles abondants, de forêts nombreuses, de forges, de moulins et d'usines. Les habitants sont grands, robustes, industrieux, aisés, bienveillants ; la population s'élève à 2,200 âmes. Mes bons paroissiens me donnent chaque jour des preuves d'un attachement sincère ; aussi acheverai-je parmi eux ma carrière, en m'occupant sans relâche de leur bonheur présent et à venir.

Châteauneuf est borné au nord par Donzy, au sud par Nevers, à l'est par Varzy et à l'ouest par la Charité-sur-Loire ; il est malheureux pour la science que d'habiles archéologues n'aient point fouillé ce vieux sol de Vif, dans lequel il s'est opéré de si fortes révolutions.

Là et aux environs, des moines, dont on n'a payé les services que par une noire ingratitude, ont défriché des terres incultes et réuni de pauvres serfs dont ils achetaient la liberté, et auxquels ils procuraient l'éducation, la moralité, la religion et le bien-être ; sous leur croix tombait anéantie l'hydre de la féodalité et du despotisme.

L'ancienne église fut brûlée par les protestants lorsqu'ils assiégeaient la Charité-sur-Loire. Aucun des vieux matériaux n'a pu servir à la reconstruction ; les pierres calcinées tombaient en poussière. La paroisse, qui renaît de ses cendres depuis dix-huit ans que j'en suis curé, possède une nouvelle église qui passe pour une des plus belles du département. L'autel est détaché à la romaine, partie en marbre, partie en stuc, avec des colonnes en pierres de Donzy, des chapiteaux et des corniches sculptées ; le choeur est enrichi de vingt-quatre stalles, et d'un tableau de hauteur d'homme, à chaque colonne ; il est fermé par des portes et des grilles en fer peint, surmontées de croix dorées et parsemées de rondes-bosses également dorées. On voit en haut et au centre des lames de fer en festons et en guirlandes dorées.

La nef a des bas-côtés assez larges pour les processions. Au bas de l'église, au couchant, se trouvent les orgues et une tour dans laquelle on a placé quatre grandes cloches. Monseigneur Millot, de bienfaisante mémoire, a fait en personne la consécration de cette église qui attire l'admiration des curieux.

Agréez, etc.

 

Extrait du Journal de l'Institut historique, 1836 - 1837

 

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A droite de la croix blanche : la maison du curé Alain Barillot en 1826.

 

Né dans l'Yonne, fils d'un maître d'école, Alain Barillot devient à plus de 50 ans le curé de Châteauneuf. Il le restera de 1820 à 1844. Il est donc le témoin des profondes transformations que connaît alors le bourg, transformations auxquelles il aurait d'ailleurs contribué grâce à d'influentes relations. Doté d'un talent d'écriture (il signe quelques opuscules), il ne laisse malheureusement aucune description du Châteauneuf de son temps. Après une vie mouvementée, il connaît au plan local une popularité certaine grâce à sa double activité de curé et de médecin.

La lettre reproduite ci-dessus présente l'intérêt de confirmer quelques rumeurs locales (dont elle est peut-être, d'ailleurs, à l'origine) : les souterrains de la butte castrale, les sarcophages de pierre, les pièces de monnaie romaines... Peut-être aura-t-on le bonheur, un jour, d'en apprendre davantage. De ce point de vue, on ne peut que souscrire au souhait du curé Barillot de voir un jour le sol de sa commune confié aux mains d' "habiles archéologues"...

 

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 Page créée le 13 octobre 2010. Dernière mise à jour le 15 octobre 2010.

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