De la culture du chanvre... Extrait de l'Agronome de Pons-Augustin Alletz, publié en 1764. A Châteauneuf comme ailleurs, on trouve à côté de chaque maison une chènevière (champ où croît le chanvre). Plusieurs familles de fretteurs, ferrandiers et autres peigneurs de chanvre sont installées aux Taules (familles Cendre, Charpentier, Perreau...). Hommes, femmes et enfants, tous se rassemblent autour de l'activité qui consiste à tirer du chanvre la filasse, grâce à laquelle le tisserand va fabriquer de la toile. |
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CHANVRE. Plante qui porte le Chenevi , & dont l'écorce sert à faire des cordes , de la filasse , de la toile , des voiles de navire. Il y a le Chanvre mâle ; c'est celui qui porte la graine ; il a une plus grande quantité de branches , ses feuilles sont larges , & leur racine fort chevelue. Il y a aussi le Chanvre femelle ; il n'a presque point de branches , ses tiges sont minces, & la filasse qu'il fournit est très fine. C'est le plus estimé. CULTURE du Chanvre. Le fond d'une terre à Chanvre ou Cheneviere , doit être gras & fertile ; les meilleurs sont ceux qui sont situés au long de quelque ruisseau ou fossé. Avant de semer le Chanvre , on doit donner trois labours à la terre : l'un , avant l'hiver , l'autre , après; & le troisieme, avant la semaille : les labours faits à la bêche sont les meilleurs. 2°. On doit herser par-dessus chaque labour. 3°. Mettre la terre du champ par petites buttes : on peut semer environ depuis la fin d'Avril jusqu'à la mi-Juin ; mais ce ne doit être ni trop dru ni trop clair. Le Chenevi , choisi pour la semence , doit être de la derniere recolte , & avoir un grain net & bien nourri : il faut environ deux boisseaux de Chenevi pour chaque arpent : on doit le couvrir avec la herse , & mettre des épouvantails pour éloigner les oiseaux , qui sont fort friands de cette graine. Fumer tous les ans les Chenevieres , & y répandre les fumiers avant le labour d'hiver , pour qu'ils se mêlent plus intimement avec la terre; & à l'égard des fumiers bien consommés,tels que celui de pigeon , il ne le faut répandre qu'avant le dernier labour. Le Chanvre a besoin d'eau après qu'on a semé , & s'il ne pleuvoit point , il faudroit l'arroser. On connoît qu'il est mûr , quand les tiges jaunissent à la cime , & blanchissent par le pied : c'est vers Juillet & Août ; alors on doit le cueillir , & commencer par le Chanvre femelle. On doit l'arracher brin à brin ; & en faire des poignées , qu'on arrange sur le bord du champ : on arrache le mâle un mois après : on doit le lier par bottes , & la tête en haut , pour qu'il exhale ce qu'il a de plus grossier : on les met au soleil pour les faire sécher. Lorsque le Chanvre femelle est sec , on le bat à la main sur un billot , pour faire tomber la fane et la graine : à l'égard du Chanvre mâle ; on le bat dans une aire , sur un grand drap : ensuite on fait de grosses bottes de ce Chanvre , pour le faire rouïr , c'est-à-dire , l'exposer à l'eau & à la rosée pour en pouvoir détacher la filasse. Ce doit être dans une mare exposée au soleil : on y entasse les bottes par tas quarrés , sur lesquels on met des pierres : on les y laisse pendant huit jours , ensuite on les fait sécher au soleil par petites bottes. En plusieurs endroits on se sert de fours pour faire sécher le Chanvre : en d'autres , on le fait hâler le long de quelque mur sur des perches , & on le retourne de tems en tems pour qu'il seche également. Il y a des gens qui prétendent qu'à l'égard du Chanvre mâle , il faut attendre au mois de Mai pour le faire rouïr parcequ'il a besoin de plus de chaleur. L'Auteur du nouveau Traité du Chanvre prétend qu'au lieu d'exposer le Chanvre au soleil avant de le faire rouïr , il vaut mieux le mettre rouïr à la sortie de la terre , sa gomme étant plus facile à se dissoudre , & qu'alors il ne lui faut pas plus de quatre jours ; sur quoi il remarque que les eaux chaudes avancent le rouïssage , & que le Chanvre qu'on fait rouïr dans les rivieres , est toujours le plus blanc , & le mieux conditionné. Lorsqu'on retire le Chanvre de la mare , il faut le laver dans une eau courante , pour entraîner la gomme et la vase qui y restent attachées. On connoît qu'il est suffisamment rouï , quand l'écorce se détache aisément de sa paille , & il seroit dangereux de le laisser trop-longtems rouïr. Lorsque le Chanvre est sec , on le fait peler pendant les veillées de l'hiver : c'est ce qu'on appelle tiller ; c'est-à-dire qu'en rompant le bout du tuyau , on tire d'un bout à l'autre l'écorce qui est autour : cette opération est facile , mais elle est longue. A l'égard du gros Chanvre , au lieu de le tiller , on le broie sur la maque , qui est une machine faite exprès. Pour cet effet , on prend de la main gauche une poignée de Chanvre , & de l'autre , la mâchoire supérieure de la broie : on engage le Chanvre entre les deux mâchoires , & en élevant & en baissant fortement & à plusieurs reprises , on brise les Chenevottes sous l'écorce qui les environne ; alors , en tirant le Chanvre entre les deux mâchoires , on oblige les Chenevottes à quitter la filasse : la gomme la plus gossiere tombe comme une espèce de son , & la plus fine se dissipe en l'air : cela fait , on remet sous la broie le bout qu'on tenoit dans la main , & on le broie de même : on étend ensuite sur une table cette filasse brute , & on en fait des paquets. Dans les Provinces où l'on recueille beaucoup de Chanvre , on le broie de la maniere dont nous venons de le dire , & on ne le tille point. 3°. Lorsque le Chanvre est dépouillé par la broie , de ses tuyaux ou chenevottes , on le passe à plusieurs reprises par le seran ; c'est un instrument garni de pointes de fer , rangées à-peu-près comme un peigne : elles font le Chanvre plus fin , selon qu'elles sont plus ou moins serrées. Plus cette opération est répétée sur les différentes sortes de peignes , gros , fins & plus fins , plus le Chanvre acquiert de douceur , de blancheur & de finesse. Lorsque le Chanvre a été ainsi bien peigné , & qu'il est propre et clair , on le met en bottes , ou pour le filer & faire des toiles , ou pour le vendre , selon les usages du pays ; le gros sert à faire des voiles ; la bourre ou étoupes servent à faire des toiles d'embalage , ou du gros linge de cuisine. L'Auteur du Traité du Chanvre fait voir que cette préparation du Chanvre est d'un travail très pénible , qu'il y auroit un moyen capable de soulager les ouvriers qui travaillent le Chanvre , en simplifiant ces diverses opérations. C'est d'après plusieurs essais réitérés , qu'il propose la nouvelle méthode de préparer le Chanvre : en voici le précis. Il faut 1°. réduire en petites poignées d'un quarteron le Chanvre qu'on veut mettre à l'eau , les plier par le milieu en les tordant, pour les manier dans l'eau sans les mêler. 2°. Mettre dans quelque grand vaisseau les poignées imbibées , remplir d'eau le vaisseau , les y laisser humecter pendant trois ou quatre jours , en maniant de tems à autre dans l'eau chaque poignée. 3°. Lorsque le Chanvre est déchargé de sa gomme la plus grossiere , le tirer par poignées , les tordre & les laver à la riviere ; puis les battre un peu sur une planche , ensuite étendre chaque poignée sur un banc de bois fort , & les frapper dans toute leur longueur avec la tranche d'un bâton de blanchisseuse , mais non avec excès. Ici l'Auteur veut qu'on fasse un second rouïssage , il prétend que c'est le moyen le plus propre pour donner au Chanvre toute sa perfection : on doit donc , selon son avis , porter le Chanvre à la riviere , & y relaver à l'eau courante chaque poignée , en la prenant bout pour bout ; & lorsque le Chanvre est purgé de sa crasse , ce qu'on connoît à son oeil clair , on le tire de l'eau , on le tord, & on le fait sécher au soleil. Cependant il propose d'employer à la place de ce second rouïssage les lessives ordinaires des cendres , parceque la chaleur de l'eau & l'alkali des cendres operent une dissolution plus prompte que l'eau froide. On y laisse humecter chaque poignée environ une demie-heure , puis on les tord , & on les manie dans l'eau, comme les blanchisseuses font à l'égard du linge ; enuite on jette cette eau sale ; on trempe le Chanvre dans une seconde ; enfin on le passe dans une troisieme , & on le remanie comme auparavant. Il ajoute qu'il n'est pas moins nécessaire après cela de battre le Chanvre , & de le laver pour la derniere fois en eau courante : il convient que ces opérations doivent se faire dans une saison où l'on puisse mettre les mains dans l'eau sans peine. Lorsque le Chanvre est bien sec on le plie en le tordant un peu , pour empêcher les fils de se mêler , & il ne reste plus que de lui donner un léger battage , avant de le passer sur le peigne , pour en tirer la filasse : ce battage achève de diviser les fibres du Chanvre ; c'est ce qui le rend blanc , doux , souple , soyeux. Si , en cet état , on veut le passer sur des peignes fins , il donnera de la filasse comparable au plus beau lin , & de maniere qu'il ne restera gueres plus d'un tiers en étoupes. Or , les étoupes , en les cardant , produiront une matiere fine & blanche , dont on ne connoissoit pas l'usage , qu'on peut employer ou à faire des ouattes , ou dont on peut faire un très beau fil. Il est important à ceux qui commercent sur le Chanvre , de savoir de quel terroir il vient. En général , le Chanvre , cultivé dans les Provinces méridionales de la France , est d'une meilleure qualité que celui qui croît dans les septentrionales. Ainsi le Chanvre de Guyenne est préférable à celui de Bretagne. Le Chanvre des terres fortes , grisâtres, légères & sabloneuses est ordinairement le meilleur 2°. Il faut avoir attention à sa couleur ; la blanche est sa couleur naturelle. 3°. A la force; ce qu'on peut éprouver , en essayant d'en rompre quelques brins avec les mains. 4°. Prendre garde qu'il ne soit mouillé ni humide , parcequ'il s'échaufferoit & pourriroit dans les magasins. 5°. Voir si les paquets ne sont point fraudés par le mêlange de quelques mauvaises poignées. Au reste , le Chanvre court a autant de résistance que le long. Quant à l'odeur , il n'y a que celle de pourriture qui doive le faire rebuter : & quand même le Chanvre seroit dur & grossier , cela seul ne doit pas le faire rejetter. Le Chanvre se vend à la botte , ou à la poignée ; laquelle est plus grosse que celle du lin. Le degré de perfection du Chanvre , c'est-à-dire , celui de la finesse qu'il doit avoir pour être employé aux belles toiles , dépend beaucoup de la nature des terres où il est fermé , de l'abondance des engrais , de la multiplicité des labours , de la quantité & de la qualité de la graine , du tems de la semaille , de la récolte , de l'espece de rouï. |
Bibliographie et lien
* Traité du chanvre, par M. Marcandier (1758)
* Annuaire des ferrandiers de la région de Châteauneuf
Dernière mise à jour le 12 avril 2007